Les Reclus

vendredi 14 juin 2013
par  Mr VARIN Eric
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Mise en garde et présentation

Nous avons décidé ici de ne nous intéresser qu’à la période, ayant connu l’afflux important de laïcs dans ce statut original de reclus, c’est-à-dire, grosso modo, entre le Xème et le XIVème siècle. L’introduction à cette étude révèlera pourtant l’existence de cette forme particulière de vie religieuse, dès les premiers siècles de notre ère. Mais, dans la quasi – totalité des cas, il s’agissait de religieux, préférant imiter les Pères du Désert plutôt que de suivre les préceptes bénédictins. L’étude de ces premiers reclus fera l’objet d’un développement ultérieur.

 

Les archives sont rares, et lorsqu’elles existent, elles gardent (jalousement) l’anonymat des reclus. Même si nos dépouillements nous ont permis de constater la part importante de femmes, nous parlerons de reclus de manière générique, incluant les recluses.

Saint Jérome . Tintoret

(Tintoret et sa vision de Saint Jérome)

 

Il est essentiel de garder en mémoire, que les archives consultées ne concernent qu’un voire plusieurs reclus, mais qu’elles ne constituent pas de règle générale. Aussi, s’il est possible de tirer quelques enseignements généraux, les propos, que nous avançons ici, ne peuvent concerner tous les reclus.

 

Enfin, ce travail évoluera, en fonction de la découverte de nouveaux éléments, tant il reste à faire sur ce sujet (comme sur bien d’autres).

Le martyr des premiers siècles, la voie vers la sainteté

 

 

 

Avant d’être toléré, puis admis au sein de l’Empire romain– cette reconnaissance officielle marque une histoire mouvementée et tumultueuse de cette religion naissante -, le Christianisme fut l’objet de toutes les attaques, et ses adeptes pourchassés sans relâche. C’était le temps des martyrs, au cours duquel les suppliciés, en périssant, atteignaient bien souvent la sainteté – les Femmes, à l’instar de Sainte Blandine ou Sainte Geneviève ne connurent point d’autres traitemens -..

Et pourtant, l’enseignement du Christ se propagea à travers les couches sociales de la société, d’une part, mais aussi à travers les vastes territoires, conquis par Rome d’autre part.

Au cours de ces premiers siècles, le martyr représentait la voie de l’élévation, de la sainteté,...

 

 

 

 (Tympan figurant le martyr de Sainte Blandine)

 

 

L’émergence des Pères du Désert…

 

 

 

Avec la conversion au christianisme des élites dirigeantes –bientôt, les croyances, à l’origine de ces persécutions, seront religion officielle -, les martyrs cèdent la place aux ermites et autres anachorètes.

En se retirant du monde, et en endurant une ascèse rigoureuse – l’imaginaire populaire garde vivace le souvenir des mortifications de ces premiers ermites – ces Pères du Désert inaugurent la voie, seule susceptible de les mener vers la canonisation, tout en défrichant, ce qui deviendra, quelques siècles plus tard, le formidable essor du monachisme. Les martyrs cessent, et s’ouvre alors cette nouvelle voie vers la sainteté, dont sont exclus désormais les Femmes, par leur nature même (à l’inverse des premiers martyrs).

 

 

 

La possibilité pour les reclus d’apparaître…

 

 

 

A peine le monachisme apparu, l’Occident verra, dès le Vème siècle, émerger une nouvelle forme de dévotion avec les reclus, dont l’essor et l’apogée se situeront néanmoins entre le X et le XIème siècle. Aussi n’est-il pas étonnant, dans de telles circonstances, de constater, que la seule règle, rédigée pour les reclus avant l’An Mil, l’ait été par GRIMLAIC, qui rédigea une règle pour les religieux, souhaitant vivre en solitaire.

 

 

 

Qui sont les reclus ?

 

 

 

Seul mais pas solitaire.

 

 

 

S’inspirant de l’érémitisme, le reclus décide volontairement de se retirer du monde. La réclusion, telle que nous l’entendons aujourd’hui à travers notre droit pénal, n’existe pas et représente l’inverse même de cette ambition. Car, comme nous le verrons, le reclus ambitionne de vivre de la charité d’autrui et non de la vivre selon les préceptes, édictés par Saint Benoît. Contrairement à l’ermite, le reclus ne peut pas décider seul de son engagement, puisque son existence même dépend d’autrui.

 C’est donc un cheminement à part, qui a pu, tour à tour, susciter les plus nobles vocations comme les plus vils motifs.

 

 

L’origine ecclésiastique, avant le Xème siècle .

 

 

 

Avant le Xème siècle – date du début de l’essor de cette nouvelle forme de piété -, la grande majorité des reclus provenait exclusivement du milieu ecclésiastique. Saint Benoit, lui-même, n’envisageait-il pas l’érémitisme comme une suite (possible et envisageable) de l’anachorète formé ?

Le reclus de cette période (V – IX ème siècle) n’est peut être –les archives ne le confirment pas de manière catégorique – qu’une inspiration de cette conviction bénédictine. Rapprochée de la condamnation des gyrovagues, cette dernière amena probablement certains moines à marquer leur but contemplatif, tout en affichant leur mode de subsistance (la charité), respectant ainsi les deux préceptes édictés par le Père de l’Europe.

 

Quoi qu’il en soit cette apparition, puis ce développement lent fut suivi par la multiplication de reclusoirs, qui attirèrent donc, à partir du nouveau millénaire, de plus en plus de laïcs.

 

 

 

 

 

Le changement de mentalité du nouveau millénaire : les laïcs deviennent des reclus.

 

 

 

Les tourments et les remous du nouveau Millénaire naissant entraînent une modification de la perception du sacré. Dans la population, on revendique le droit à la sainteté pour tous. La béatification ne s’acquiert pas, pour la mentalité de l’époque, dans le sang (martyr) ou la fonction (dignitaire ecclésiastique), mais bien dans la conduite de sa vie.

L’imitation du Christ, avec notamment une exemplarité dans la pénitence et la pauvreté, doit permettre, à tout un chacun d’accéder à cette sainteté. Le bouleversement ne s’est pas accompli en un instant, mais les dérives et les abus d’un clergé tout puissant – régulier ou séculier – ne sont certainement pas étrangers à cette prise de conscience.

Un siècle plus tard, cela conduira à un tarissement des offrandes d’enfants aux puissantes abbayes, et cette crise de l’oblature précèdera, celle plus conséquente alors, de la baisse du nombre des convers, si chers aux fils de Saint BERNARD. 

Du reste, l’Eglise, dans son ensemble, ne cherche-t-elle pas à se réformer, à prendre un nouveau départ.

 

 

 

Les reclus sont des…recluses, en général, d’origine modeste.

 

 

 

Aussi, ceux à qui étaient refusés cette sainteté, et ce malgré leurs efforts, trouvaient enfin un idéal chrétien, plus propice à leur nature et à leur mode de vie. Et, on pense bien évidemment aux Femmes, expliquant pourquoi la très grande majorité des reclus étaient des recluses.

Ainsi, un inventaire, dressé vers 1320, constatait la présence de 270 recluses à ROME, alors que la cité n’abritait que 470 nonnes.

Même si on apprend, que toutes les classes de la société médiévale fournissaient ces vocations, une grande partie d’entre-elles étaient des marginales, des victimes de la société (prostituées, épouses abandonnées, Concubines de prêtres abandonnées, Filles sans dot,…).

Comme nous le verrons, la recluse pouvait trouver, dans cette forme de vie, un moyen de subsistance, échappant ainsi aux affres de la société.

 

 

 

Qu’est ce que le reclusoir ?

 

 

 

La volonté d’encadrement de l’Eglise.

 

 

 

La multiplication de ces entreprises individuelles effraya l’Eglise – exclusivement masculine en ce qui concerne les dignitaires ecclésiastiques -, qui ne cessa de chercher à encadrer ces initiatives individuelles et féminines.

Pour certaines d’entres – elles, l’Eglise avait déjà réussi à les contraindre de ne plus suivre ces prédicateurs itinérants, que le nouveau millénaire avait multiplié.

Obligation est faite aux autorités religieuses de s’emparer du phénomène, pour éviter toutes déviations hérétiques. Cette attention particulière se manifesta par la multiplication des règles, mais aussi par la tenue de conciles et synodes, qui définiront ce nouvel ordre, l’Ordo Inclusorum.

Mais, l’adhésion à ce dernier fut loin d’être systématique puisque contraire à l’esprit même de la réclusion.

 

 

 

 

 

La mort au monde, célébrée sous l’autorité de l’évêque.

 

 

 

En entrant au reclusoir, le postulant(e) meurt au monde, rejetant l’ensemble des biens qu’il pouvait posséder. Même si les cas restent rares, certains reclus disposaient de quelques biens avant leur isolement, et ils les abandonnent au profit de l’autorité (dominium), qui usera de cette manne pour subvenir, en partie, aux besoins du reclus.

Comme pour toutes les étapes de son parcours, l’isolement a été encadré et organisé par les autorités religieuses. Ainsi, fut instaurée, même si les formes et les procédures variaient d’une cité à une autre, une cérémonie pour cette « mort au monde ».

Aussi a-t-on vu les reclus recevoir l’extrême onction. Cette pratique, qui ne fut jamais compilée dans la législation pontificale, suscita la contestation de nombreux théologiens, qui s’appuyèrent sur le 5ème canon du XVIIème Concile de Tolède (934), qui interdisait l’ « usage de dire pour les vivants des messes de morts, pour qu’ils meurent bientôt ».

Sous l’autorité de l’évêque, cette cérémonie ressemblait fortement à un rite funéraire, se rapprochant également de la procession entourant la relégation des lépreux. Ensuite, conduit par l’évêque, un cortège accompagnait le reclus jusqu’à sa nouvelle habitation – qui sera, par définition, aussi son tombeau -, dont la porte sera scellée et marquée du sceau de l’évêque.

 

 

 

Le reclusoir, une maisonnette ouverte sur le monde.

 

 

 

L’endroit, dans lequel le reclus passera le reste de sa vie, était en général une maisonnette aux dimensions modestes – les règles, qui fleurissent au cours des XI et surtout XIIème siècle, firent varier les dimensions de 2 mètres sur 2 à 3 mètres sur 4 -.

Modestes donc, ces lieux n’offraient, par définition, aucune issue (L’entrée scellée par le sceau de l’évêque ne serait ré ouverte que pour le décès du reclus). Dans certains cas, on trouvait un petit jardin attenant, dans lequel on suppose –les sources sont, sur le sujet, muettes – une culture de légumes et/ou de plantes médicinales, à l’instar de ce qui se passait au sein des abbayes ou dans les jardins (individuels) des cellules cartusiennes.

Une ouverture (fenêtre) permettait au reclus de ne pas être un ermite, et définissait son « existence sociale ». Cette fenêtre lui permettait de recevoir les dons des habitants, mais aussi de converser avec le monde.

Ne prononçant pas de vœux (c’était, dans les cas qui nous intéressent, un laïc), le reclus n’était donc pas astreint au silence. Ceci peut expliquer la présence d’un auvent, permettant au passant de s’entretenir avec le reclus, tout en étant abrité des intempéries.

Une seule ouverture donc, sauf lorsque le reclusoir était adossé à un lieu de culte. Dans ce cas là, une petite ouverture, l’hagioscope, lui permettait de suivre les offices.

 

 

 

L’implantation du reclusoir.

 

 

 

Quelle que soit son origine, le reclusoir s’imposait à la société toute entière, puisque son existence n’était conditionnée que par la charité de cette société, de laquelle le reclus avait décidé de se retirer.

Non seulement, le reclusoir supposait une cité assez peuplée – le désert aurait ici condamné le reclus, alors qu’il s’imposait avec tant d’évidence pour les Pères du désert -, mais elle nécessitait aussi une certaine aisance, seule susceptible de pérenniser son existence.

Aussi, le reclusoir était, dans la quasi – totalité des cas, construit dans un lieu de passage, très fréquenté. Qu’il s’agisse de lieux de piété – dans la grande majorité de ces cas, le dominium était alors ecclésiastique – comme les cimetières, les léproseries, …, ou d’endroits stratégiques de la cité, comme les portes, les ponts,…, il s’agissait toujours d’un endroit de trafic important.

Car, quelle que soit la pureté de la recherche initiale des reclus, le financement de l’établissement de ces derniers puis leur entretien devait trouver une réponse.

 

 

 

 

 

Le financement des reclusoirs.

 

 

 

Même si les cas sont rarissimes, on trouve parfois des candidats capables de financer, eux – mêmes, leur installation, le reliquat de leur « fortune » servant alors à leur entretien.

Néanmoins, dans la quasi majorité des cas, ce n’était pas le cas, et le Dominium revenait bien souvent alors à l’Eglise au sens large (Evêché, Paroisse, Abbayes,….).

En souhaitant encadrer ces initiatives individuelles, L’Eglise dut pourvoir à l’établissement de ces derniers, qui pouvaient aussi être pris en charge par un puissant seigneur, ou par la cité, voire plus exceptionnellement par une corporation (Ces dernières, qui se multiplièrent à cette époque, privilégiaient néanmoins l’aide et l’assistance aux ordres mendiants, nouveaux venus aussi dans le paysage urbain).

 

 

 

La vie du reclus.

 

 

 

Une vie d’aumône.

 

 

 

En menant une forme de vie héroïque, le reclus se retire du monde pour pouvoir prier sans relâche. Leur dévotion est permanente, et toutes les classes sociales vont aider à cette contemplation, espérant ainsi gagner le Salut par la Sainteté de leur ermite.

N’est ce pas la même raison, qui poussa les grands seigneurs mérovingiens à doter les abbayes naissantes ? Pour y parvenir, on donne donc l’aumône à ces reclus, à tel point qu’à certains endroits, le reclus sera amené à redistribuer le surplus aux plus pauvres.

Il faut néanmoins relativiser cette illusion d’abondance, puisque certains sont contraints d’aller chercher leur nourriture en quittant, la nuit tombée, leur cellule.

 

 

 

Subsister…

 

 

 

Si les reclusoirs se multipliaient dans une ville en pleine transformation, il en était de même des ordres mendiants, qui ne subsistaient également que de la charité.

Cette dernière ne pouvait contenter tout le monde, et on verra les gestionnaires de ces reclusoirs accorder des « rentes » au reclus, afin que leur existence ne soit pas menacée.

De son côté, le reclus s’était engagé lors de son arrivée, à reverser une partie des offrandes reçues. Ce loyer – car c’est bien de cela dont il s‘agit – ne compensait-il pas ces rentes ? 

 

 

 

L’activité des reclus.

 

 

 

En échange, outre la contemplation et la prière permanente, le reclus pouvait tenir un rôle social, que ce soit dans la consolation, par des prières pour les défunts, par exemple, ou encore dans un rôle de surveillance, dès lors qu’il était situé sur une porte ou un endroit stratégique de la cité,…

 

Néanmoins, devant subvenir à leurs besoins, dans une société en mutation – on tolérait de moins en moins, dans ce monde de labeur, la multiplication des contemplatifs, jugés « improductifs -, les reclus acceptèrent les travaux manuels, comme la confection de vêtements liturgiques,… - les rares lettrés pourront devenir copistes, comme Sainte Diemut, à Wessobrum, qui copiera 40 manuscrits pour la bibliothèque de l’abbaye. -.

 

 

 

 

 

La disparition des reclus.

 

 

 

Pauvre et solitaire, le reclus ne laissera que peu de traces. Sa maisonnette, comme on l’a vu, n’est guère solide, et lorsqu’il l’abandonne, elle ne résiste pas longtemps aux outrages du temps.

 

« Pénitent collectif », le reclus n’a jamais cherché à laisser une trace, et c’est pourquoi il ne reste que très peu de vestiges de ces reclusoirs, qui se multiplièrent au cours des premiers siècles de ce millénaire naissant.


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mardi 6 décembre 2016

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